Les 2 et 3 juin derniers, la paroisse orthodoxe Notre-Dame Souveraine à Chaville a fêté le 80ème anniversaire de son existence. A cette occasion, Mgr l’archevêque Gabriel s’est rendu à Chaville pour les célébrations des vigiles et de la sainte liturgie. Nous vous invitons à visionner l’enregistrement vidéo de son sermon prononcé le dimanche 3 juin ainsi que l’album de photographies de l’évènement. Vous pouvez retrouver l’historique de la paroisse ainsi que le chapitre consacré à l’église Notre-Dame Souveraine tiré des Mémoires de Mgr Euloge (Georgievski) publiés par les Presses Saint Serge.
Historique de la paroisse orthodoxe russe Notre-Dame Souveraine à Chaville
En mars 1917, en pleine guerre mondiale, une humble
paysanne du village de Kolomenskoë, près de Moscou, voit apparaître l’icône de
Notre-Dame Souveraine (dernière icône apparue en Russie) ; puis c’est la Révolution
d’octobre, l’effondrement de l’Empire russe, l’exécution tragique de la famille
impériale, la guerre civile et la misère.
Certains Russes, fuyant leur terrible destinée,
ayant tout perdu, partent pour d’autres pays, en particulier la France, se
fixent à Paris et ses environs, particulièrement
dans l’Ouest de la Capitale. Ils travaillent pour la plupart dans des usines
(automobiles), donnant lieu à la création et à l’extension de lotissements à
Chaville, Sèvres, Clamart, Ville d’Avray.
En 1926, les Russes orthodoxes habitant Chaville et
les communes limitrophes s’organisent et élisent un comité́ qui a pour mission de créer les premières bases d’une
paroisse.
Une chapelle de fortune est installée dans un garage près de la gare de Chaville-Vélizy. Le métropolite Euloge va désigner le
père Kalachnikov pour assurer tous les offices à
Chaville et Clamart.
Cette paroisse est déclarée à la Préfecture de
Versailles le 30 mai 1927, sous le nom d’Association orthodoxe russe de
Chaville (journal officiel du 22 juin 1927) placée sous la protection de Notre
Dame Souveraine.
1927-1929 : recteur Georges Fedorov
1929-1931 : recteur Georges Choumkine
1932-1954 : recteur Jean MAXIMENKO
Le 19 mai 1935 : pose de la première pierre de la
petite église, près de la forêt de Meudon (située actuellement au 22 rue Alexis
Maneyrol) dans un site calme et boisé, au centre de la communauté
russe se répartissant sur les communes de Chaville, Viroflay, Vélizy-Bas et Vélizy
le Clos. Les paroissiens, avec leur prêtre le père Jean Maximenko, construisent
l’église de leurs propres mains.
Le métropolite Euloge vient le 9 juin 1935
consacrer l’autel et célébrer l’office de la pose de la première pierre.
Le père Jean Maximenko, élevé à la dignité d’archiprêtre
mitré, sera le recteur de la paroisse jusqu’en 1954.
1955 -1964 : archiprêtre Léonide Moguilevski
1964 -1966 : archiprêtre Léonide Nikolski
1967-1977 : archiprêtre Alexandre Davidoff. Apprécié
de tous, il a de bons rapports avec l’église catholique de Vélizy ; il meurt
accidentellement le 31 mai en 1977.
1977 -1990 : recteur Pierre
Nivière.
Puis, les prêtres desservants la paroisse ont été
successivement :
1990 -1994 : révérend Père Michel Evdokimov
1994-1999 : révérend Père Nicolas Molinier
Depuis 1999, le recteur de la paroisse est le père
Jivko Panev
La chapelle actuelle a été quelque peu remaniée
(iconostase différente et clocheton ajouté). En 2002 une rénovation intérieure
et extérieure a été entreprise et en 2005 des fresques de style orthodoxe russe
y ont été exécutées.
Les offices sont célébrés en français et en slavon,
les lectures et prédications en français et les chants liturgiques en slavon.
(Renseignements aimablement fournis par M. Paul
Gantchenko, membre de la paroisse.)
Mgr EULOGE a consacré un chapitre à la paroisse de Chaville dans ses mémoires « Le chemin de ma vie ». Nous vous proposons ici de le lire :
« Chaville
En 1926, un habitant
russe de Chaville, monsieur Sédachev prit l’initiative de me demander un prêtre
pour Pâques. J’ai prié le père Kalachnikov, recteur de l’église de Clamart, de
se rendre à Chaville. Ainsi, il a pu mettre en route une nouvelle communauté.
Par la suite, il est venu, à plusieurs reprises, faire des célébrations en
alternance avec un prêtre âgé, le père Fachtchevsky. Il se forma un comité,
dont faisait partie : Sédachev, la comtesse Moussine-Pouchkine et les dames :
Dobrinine, Bérézine, Doubassov…
Pendant un certain
temps, les prêtres se relayaient dans cette communauté. Finalement, j’ai pu
nommer un prêtre permanent : le père Georges Fédorov. Il était fils d’un
professeur de l’Université de Varsovie, qui mourut pendant la révolution. Sa
mère devenue catholique entraîna avec elle son fils, qui était encore élève à
l’école des cadets. Plus tard, il se retrouva chez les jésuites, fut envoyé à
Rome, admis au séminaire, et bientôt ordonné diacre. Il n’a pas pu poursuivre
longtemps dans cette voie ; son âme fut complètement brisée, et un jour, il
déposa son orarion de diacre à mes pieds. Il me faisait pitié, je l’ai donc
envoyé à l’Institut de Théologie Saint Serge. Ses études au séminaire lui
avaient donné beaucoup de connaissances utiles. M’étant assuré qu’il ne
deviendrait jamais un savant théologien, je pris la décision de l’ordonner
prêtre, et l’envoyait à Chaville. Parmi ces paroissiens, se trouvait un certain
Jean Maximenko qui était attiré par le service de l’Eglise. Je l’ai inscrit
comme auditeur libre à l’Institut Saint Serge, et l’ai ordonné au diaconat,
pour la paroisse de Chaville. A ce moment-là, le comité paroissial aménageait, dans
un ancien garage, une modeste chapelle dédiée à la Mère de Dieu Souveraine.
En ce qui concerne
l’icône de la Mère de Dieu Souveraine on possédait les renseignements suivants
: elle fut trouvée, pendant la révolution, dans le grenier de l’église du village
de Kolomenskoë, qui se trouvait dans la propriété de nos Tsars moscovites. La
Mère de Dieu apparut en songe à une femme et lui dit :
« Mon icône se
trouve méprisée, va voir le prêtre et dis-le-lui… »
Le rêve se
reproduisit deux fois. La femme fit ce qu’on lui ordonnait. Sur cette icône, la
Mère de Dieu est représentée assise sur un trône, tenant les attributs royaux.
Dans l’une de ses mains, elle tient le globe, dans l’autre le sceptre.
Ce miracle fut
interprété comme la glorification de la souveraineté de la Reine des cieux,
dans cette période terrible de l’effondrement de l’état russe. La rumeur au
sujet de l’icône miraculeuse se répandit partout et le peuple commença à
affluer. En 1917, on transporta l’icône dans différentes églises de Moscou ; là
où elle apparaissait, d’énormes foules de fidèles se rassemblaient. Lorsque le
prêtre, qui avait trouvé l’icône, voulut l’enchâsser, il ne trouva pas de
châsse à la bonne dimension. Il décida de scier l’icône par le bas ; il vit en
songe la Mère de Dieu qui lui reprocha: « Pourquoi veux-tu me couper les
jambes ? »
Une copie de cette
icône fut faite pour l’église de Chaville.
Le père Fédorov ne
fut pas recteur longtemps. Miné par l’esprit clérical, imbu de son
infaillibilité pastorale, il prit des décisions sans appel qui provoquèrent des
scandales. Il ne permit pas à la marguillière Doubassov de venir embrasser la
croix, car elle s’était permis de sortir de l’église sans sa bénédiction… Il
interdit à un membre du clergé de communier, car celui-ci aurait dit en
apportant l’eau chaude : « Et chez moi les cornichons poussent
bien! »
J’ai entendu parler
de ces scandales, et voyant que le père Fédorov ruinait la paroisse au lieu de
la développer, je l’ai remplacé par le père Choumkine, un prêtre humble et pieux.
Avec le père
Choumkine, l’église s’embellit. Il y eut des dons d’icônes et d’objets
liturgiques ; on aménagea une nouvelle iconostase. L’icône de la Mère de Dieu
Souveraine fut installée dans une belle châsse. Les fidèles venaient même de
Meudon, Clamart ou de Paris. Les marguilliers furent : d’abord, madame
Doubassov, puis madame Dobrinine, après elle le général Kandyrine qui ne laissa
pas un très bon souvenir.
Le père Choumkine ne
pouvait pas mener un travail actif et créatif. La paroisse devint tellement
pauvre qu’elle ne pouvait plus verser sa part de revenus à l’administration
diocésaine. Voyant cela, j’ai transféré le père Choumkine à Grenoble et nommé à
Chaville le diacre Maximenko que j’ordonnai prêtre à la demande de certains
paroissiens.
Le père Maximenko,
ancien fonctionnaire pour l’émigration en Sibérie, auditeur libre à l’Institut
Saint Serge, était un prêtre simple, bon, persévérant et entreprenant. Au
début, tous les paroissiens le soutenaient, mais ensuite il y eut des
protestations. Un groupe de fidèles qui se considérait comme l’ ‘aristocratie
spirituelle’, se plaignait que le père recteur manquât de finesse face à leurs aspirations théologiques’. Cependant, le père Maximenko suivait résolument son
chemin ; il décida de construire son église. Il ouvrit une souscription pour
des dons en ‘petites briques’, c’est ainsi qu’il appelait les carnets à souches
avec lesquels on collectait l’argent. Les dons arrivaient, par petites sommes ;
il put assez rapidement acheter un terrain de 300 m². On décida de se charger
de la construction sans embaucher d’ouvriers, de faire tous les travaux selon
les possibilités de chacun. Dans un effort communautaire, on commença par
creuser le sol, amener les matériaux, bâtir… Les femmes préparaient et portaient
les repas aux bâtisseurs. Le père Maximenko donnait l’exemple en travaillant en
tête de la corporation et tous les autres le suivaient. La construction
avançait assez vite, quand soudain éclata un conflit, au sujet de la toiture.
Les uns voulaient une coupole, par exigence esthétique ; les autres préféraient
un toit simple, cela revenait moins cher et n’exigeait pas la présence de
quatre piliers pour soutenir la coupole. L’entrepreneur Tchernobrovkine était
pour la coupole, le père Maximenko pour un toit simple. On s’adressa à des
architectes. Ils avançaient des raisons esthétiques et soutenaient
Tchernobrovkine. De mon côté, j’essayai de les persuader que nos possibilités
matérielles nous obligeaient à opter pour une toiture simple et modeste. Mais
le conflit se poursuivit. Tchernobrovkine se fâcha, il exigea qu’on lui rende
son matériel et qu’on lui rembourse ses frais. Il y eut beaucoup de débats et
de disputes. Je suis allé plusieurs fois calmer les adversaires. Un jour, il
m’a fallu examiner les détails de la querelle, assis sur une caisse, parmi des
tas de planches et des briques entassées au milieu de l’église encore inachevée
; une pluie fine nous pénétrait, car à cause des disputes, il n’y avait ni
coupole ni toit… En fin de compte, tout s’arrangea, le bon sens prévalut et
l’église fut construite avec un toit à double pente.
Le père Maximenko a
supporté avec patience tous les orages, non sans mal. La consécration de
l’église fut solennelle. Les fidèles eurent les larmes aux yeux lorsque, dans
mon discours, je parlai de la façon touchante avec laquelle les habitants de
Chaville avaient construit leur église. J’ai remis au père Maximenko, en
récompense, pour ses travaux pastoraux, et surtout pour la construction de
l’église, une ‘kamilavka [chapeau
spécial que le prêtre peut porter pendant les offices]
En été 1936, un
nouveau conflit surgit à Chaville. Apparut un groupe dénommé ‘Action Chrétienne
du Travail’ ayant à sa tête deux personnes qui avaient obtenu la nationalité
suisse : Ladygensky et le prince Kourakine. Lorsque le ministère Blum réalisa
son programme de législation sur le travail, certains membres de la communauté
de Chaville se sont inscrits à la C.G.T. non pour des raisons politiques, mais
pour des considérations économiques. Le groupe d’ ‘Action Chrétienne du
Travail’ décida d’exclure de ses rangs tous ceux qui avaient adhéré à la C.G.T.
Le père Maximenko prit la défense des membres de la C.G.T. : ils voulaient
simplement améliorer leur situation matérielle ; c’était un moyen d’assurer
leur pain quotidien. Ce n’était pas aux ‘Suisses’ de les condamner, eux qui
avaient changé de nationalité pour obtenir une liberté de circulation,
c’est-à-dire pouvoir voyager dans toute l’Europe, sans faire de démarches pour
un visa…
Je reçus des plaintes
contre le père Maximenko. J’ai enquêté sur cette affaire et j’ai expliqué aux
plaignants qu’eux-mêmes, en changeant de nationalité, avaient quelque peu renié
leur rude condition d’émigrés, et dans ce cas-là, il était sage de s’abstenir
de porter des accusations. »